La défenseure de l'enfant propose de donner une place aux beaux-parents

LE MONDE | 20.11.06 |

 

Ils se côtoient parfois pendant de longues années, ils partagent jour après jour le même quotidien, mais le droit les ignore : en France, aucun texte, ou presque, n'évoque les liens entre les enfants et ces "parents en plus" que sont aujourd'hui les beaux-parents. "Ce silence juridique contraste fortement avec la réalité, où désormais, des centaines de milliers de beaux-parents prennent en charge l'enfant, contribuent de fait à son éducation et son entretien, et nouent avec leur bel-enfant des liens parfois très importants, qu'ils redoutent de voir anéantis en cas de séparation ou de décès du parent", constate la sociologue Irène Théry dans son rapport sur la famille, Couple, filiation et parenté aujourd'hui (éditions Odile Jacob).

Dans ce texte remis en 1998 au garde des sceaux, la sociologue proposait d'accorder au beau-parent le pouvoir "d'accompagner tous les actes usuels relatifs à la surveillance et à l'éducation de l'enfant . Il importe que les repères qui ont émergé depuis deux décennies dans l'ombre de la vie privée trouvent aujourd'hui une forme de reconnaissance sociale", résumait-elle. Deux ans plus tard, la commission présidée par Françoise Dekeuwer-Défossez proposait la création d'un "mandat" permettant au beau-parent d'"accomplir un certain nombre d'actes, usuels ou non, relatifs à la personne de l'enfant". En février, la mission famille de l'Assemblée nationale, présidée par Valérie Pecresse, allait dans le même sens en suggérant une "délégation de responsabilité parentale".

Aujourd'hui, c'est au tour de la défenseure des enfants d'apporter sa pierre à l'édifice : dans un rapport remis, lundi 20 novembre, à Jacques Chirac, Dominique Versini, ancienne directrice du Samu social et ancienne secrétaire d'Etat chargée de la lutte contre l'exlusion, dénonce les "lacunes" de notre droit : afin de "simplifier la vie quotidienne de millions d'enfants évoluant dans des configurations familiales fluctuantes", elle propose de créer "un mandat d'éducation" permettant aux beaux-parents et aux "homoparents" d'accomplir certains actes de la vie de l'enfant - intervention chirurgicale ou voyage à l'étranger -, voire "une convention de partage" de l'exercice de l'autorité parentale homologué par un juge.

NI PARENT, NI ÉTRANGER

Ni parent, ni étranger, les beaux-parents, de plus en plus nombreux - selon Laurent Toulemon, de l'Institut national d'études démographiques, 12 % des adultes sont dans ce cas - inventent à petite touches des rôles nouveaux. "J'ai été pendant huit ans le beau-père d'une petite fille qui était en résidence alternée, raconte Gérard, qui vit à Marseille. Il y a eu, au début, un moment de cohabitation polie puis, rapidement, beaucoup de tendresse et de complicité. J'étais très présent, nous avons partagé beaucoup de choses, mais je ne prenais jamais de décisions relevant de l'autorité parentale (...). Finalement, cette expérience de beau-père m'a appris à être père !"

Dans la vie quotidienne, il est rare qu'un beau-parent ou un homoparent rencontre des difficultés à l'école ou chez le médecin. "Nous ne demandons pas aux adultes qui se présentent pour un rendez-vous des documents juridiques justifiant leurs liens avec l'enfant, sourit Philippe Guittet, le président du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale. Si un parent ou un beau-parent nous dit qu'il participe activement à la vie de l'enfant, nous lui faisons confiance. Ce qui compte, ce n'est pas son statut juridique, c'est qu'il souhaite assumer ses responsabilités vis-à-vis de l'enfant."

Mais, au-delà de l'utilité pratique de ces outils, c'est souvent de la reconnaissance sociale du beau-parent ou de l'homparent qu'il s'agit. "Il y a, bien sûr, des chefs d'établissement scolaire ou des médecins tatillons qui exigent des papiers prouvant le lien avec l'enfant, souligne Valérie Pecresse, porte-parole de l'UMP. Mais ces mandats et ces délégations sont surtout une façon d'accomplir un geste symbolique qui légitime l'autorité du beau-parent. Certains d'entre eux hésitent à s'impliquer car ils ne se sentent pas reconnus. Pour qu'ils puissent le faire sans remplacer les parents, il faut leur réserver une place."

Certains juges commencent à prendre en compte ces nouvelles figures de la recomposition familiale. En cas de séparation, il arrive ainsi que le beau-père obtienne un droit de visite et d'hébergement au nom de l'intérêt de l'enfant. La défenseure des enfants relate ainsi le cas de Simon, marié en 1997 à la mère d'un petit garçon au père absent, Gérald. Après huit ans de vie commune et deux nouveaux enfants, le couple s'est finalement séparé. Mais pour préserver les liens de cette fratrie "recomposée", Simon a demandé pour Gérald un droit de visite et d'hébergement que le juge lui a accordé en 2004. Avec l'accord de son ex-femme, Simon continue donc à vivre aux côtés de cet enfant avec lequel il n'a officiellement aucun lien de parenté.

Anne Chemin

Article paru dans l'édition du 21.11.06