Pères, mères, enfants : vers une redéfinition des places et des rôles

octobre 1998

 

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Les places du père, de la mère et de l’enfant ont beaucoup changé depuis le début du siècle. Elles s’inscrivent dans la dynamique des changements de la famille contemporaine en Europe, dans un contexte en plein bouleversement, avec la maîtrise de la reproduction, les changements d’aspirations, la transformation des mœurs.

Christine Castelain-Meunier (chercheuse au CNRS au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques, à l’EHESS) s’est intéressée à ces « nouveaux » rôles parentaux, à leur complexité et à leurs incidences sur l’enfant, sur le développement de sa personnalité et de son identité dans une société qui le rend souvent captif des attentes identitaires des adultes.

A travers l’histoire des fonctions paternelle et maternelle, des relations entre les pères et les mères, c’est également à la place des enfants, cible privilégiée des incertitudes contemporaines, que cette étude est consacrée, soulignant la nécessité de redéfinir et de défendre les droits et les intérêts de l’enfant. Cette recherche paraît aux éditions Flammarion sous le titre « Pères, mères, enfants ».

Le modèle familial traditionnel était fondé sur la domination masculine et la défense de la paternité et de la filiation. Le statut des femmes se modifie au XXe siècle lorsqu’elles entrent massivement dans la vie professionnelle et acquièrent une autonomie économique, des droits civiques et sociaux, pouvant ainsi s’affirmer autrement que comme épouses et mères.

Les femmes cherchent alors de nouvelles règles de conjugalité et de parentalité (choix de la maternité avec la contraception..., autonomie..., authenticité), mais sont confrontées aux exigences contradictoires qu’implique la diversité de leurs rôles et n’en continuent pas moins à être sollicitées comme mères. La place qu’elles veulent occuper est alors difficile à définir et à assumer.

Le père se trouve aussi dans une situation délicate, pour des raisons à la fois semblables et différentes. Dans le modèle familial traditionnel, il occupait une place incontestée : la première. Pourtant, sa place a subi d’importantes transformations dans l’histoire. Notamment à la fin du XIXe siècle, avec l’instauration de la scolarité obligatoire, l’Etat s’était approprié une partie de ses prérogatives en matière d’éducation. Mais le père n’en conservait pas moins sa prééminence, du fait de son statut de principal pourvoyeur de ressources pour sa famille. Avec l’entrée des femmes sur le marché du travail, cette fonction s’est trouvée relativisée.

L’apparition de nouvelles formes d’union, mais aussi la procréation médicalement assistée, ont amené à dissocier ce qui était jusque là une figure unique en père biologique, père éducateur, père nourricier, père affectif... Le rôle du père est traversé par de nouvelles complexités qui révèlent l’importance de la construction institutionnelle qui le définissait autrefois (alors que la preuve de paternité n’était pas possible).Son rôle s’assouplit en même temps qu’il tend à devenir plus l’expression de sa conscience et de son engagement.

Pourtant la cellule familiale en transition avait tendance à se recentrer autour de la mère, pôle de stabilité et de permanence sans que la situation soit véritablement reconnue dans ce sens. Le père voyait alors parfois sa place et son rôle dépendre de sa relation avec la mère de l’enfant (1). La filiation ne garantit plus aussi automatiquement qu’avant le lien père-enfant. A la différence de la relation mère-enfant, dont l’importance dans sa dimension pratique et réelle n’est jamais mise en doute, la relation père-enfant reste prisonnière de sa dimension symbolique et séparatrice, parfois à l’exclusion de toute autre forme de place et de rôle.

Pour faire face à cette situation, les parents peuvent difficilement s’appuyer sur leur propre expérience, et le savoir-faire des générations précédentes leur est de peu de secours. Ils improvisent des formules individuelles plus ou moins adaptées, souvent dans l’angoisse et la culpabilité car ils pensent que l’avenir de leurs enfants se joue en termes de succès ou d’échec et que cet avenir est entre leurs mains, sans avoir les moyens d’y remédier. La relation avec leurs enfants en est modifiée, et si les rapports fondés sur l’autorité tendent à céder la place aujourd’hui à des rapports fondés sur le dialogue et la négociation, il est difficile pour les parents, faute de repères aisément identifiables, de fixer des règles, de poser des limites, de trancher entre des valeurs contradictoires. Dans la famille contemporaine, devenue surtout « relationnelle », une confusion des places s’est instaurée. (2)

La prise de conscience du rôle parental est fondamentale des deux côtés (père et mère), ainsi que celle de l’importance des rôles tenus par les personnes qui s’occupent de la condition de l’enfant (justice, école, santé, institutions...). Des initiatives nouvelles se font jour aujourd’hui pour redéfinir les rôles des uns et des autres, pour repenser leurs relations dans le respect de l’intérêt de chacun. La politique familiale peut contribuer à clarifier cette situation, en prenant acte des changements intervenus, en aidant à définir de nouveaux repères grâce à des mesures concrètes, telles que la reformulation des règles de filiation (plus de la moitié des enfants actuels sont nés hors mariage), la redéfinition des rôles et des places dans les familles recomposées, l’alignement du statut des couples mariés et non mariés, la réforme des droits de succession, etc. (3).

1) Indice de la marginalisation croissante du père, en cas de séparation, 54 % des enfants de parents séparés perdent tout contact avec lui (source INED, 1988) et 24 % n’ont plus avec lui que des rencontres épisodiques (moins d’une fois par mois).

2) Si les faire-part d’autrefois passaient en revue une partie de la généalogie familiale, les faire-part de naissance contemporains soulignent cette confusion des places. Il y est parfois difficile d’identifier les parents, la petite sœur ou le grand frère et le nouveau-né. Les parents ne sont plus identifiés qu’avec leurs prénoms au bas du faire-part. Tout le monde semble en apparence appartenir à la même génération.

3) Ces propositions sont au centre du rapport sur la famille coordonné par la sociologue Irène Théry et remis au gouvernement en juin 1998.

 

 

 

Référence     

 

- Pères, mères, enfants, Christine Castelain-Meunier, éd. Flammarion (Collection Dominos, un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir), novembre 1998, 128 p., 41F.

- Christine Castelain-Meunier a également publié La paternité, PUF, 1997 (Que-Sais-je ? ; n° 3929)

 

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