http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2832.asp#P2546_499138

Index :

désaccord entre les parents, période d’essai, favoriser la coparentalité, statistiques 2004, pension alimentaire,

faut-il interdire la résidence alternée pour les tous petits : les avis d’experts  Pr Berger, Dr Naouri, Mme Rottman, Pr Poussin, G. Neyrand, M. Fulchiron, Barreau d’avocats,

conclusion, prestations sociales, allocations familiales et réformes.

La résidence alternée

En application de l'article 373-2-9 du code civil, tel que rédigé par la loi du 4 mars 2002, la résidence de l'enfant peut être fixée « en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux ».

La résidence alternée représente un moyen concret de restaurer les fonctions parentales afin de lutter contre la démission de certains parents et de consacrer réellement la parité de l'homme et de la femme dans l'exercice de l'autorité parentale, alors que, auparavant, la résidence de l'enfant était fixée chez la mère dans plus de 85 % des cas. Même lorsque les deux parents demandaient chacun la résidence de l'enfant, le père ne l'obtenait que dans 25 % des cas.

Au moment de la discussion du projet de loi, le débat portait sur le point de savoir si la résidence alternée pouvait être ordonnée par le juge lorsque les parents n'étaient pas d'accord. Ce désaccord rend le partage de la résidence de l'enfant plus difficile dans la pratique, mais exiger un accord des parents reviendrait à donner un droit de veto à l'un d'eux. Or, il est à craindre que la mère, qui a beaucoup de chance d'obtenir la garde de l'enfant si celle-ci n'est pas partagée, utilise ce droit de veto contre le père, même si le partage est matériellement possible.

C'est pourquoi il a été accordé au juge la possibilité d'ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée, lorsque l'un des parents le demande ou en cas de désaccord entre eux. Le juge peut ainsi imposer une période d'essai, au terme de laquelle il « statue définitivement sur la résidence de l'enfant » - le terme « définitivement » étant impropre, puisque toute décision peut toujours être modifiée.

Une cour d'appel (230) a tenté de récapituler les éléments que le juge peut prendre en considération pour évaluer la pertinence du choix de la résidence alternée :

- cette solution doit être bénéfique pour la santé, notamment psychologique, la sécurité, la moralité, l'éducation et le développement de l'enfant ; elle ne doit pas constituer une mesure d'égalité arithmétique entre parents séparés ni même un « changement pour le changement » ;

- l'enfant n'est pas hostile à la résidence partagée ;

- les méthodes éducatives des deux parents sont comparables, de même que leur niveau de vie, de sorte que l'enfant ne souffre de différences par trop évidentes ;

- sur le plan matériel, l'alternance ne doit pas poser de difficultés concrètes disproportionnées par rapport aux avantages recherchés.

B.- FAVORISER L'EXERCICE DE LA COPARENTALITÉ PAR LE PÈRE ET LA MÈRE

La loi du 4 mars 2002 a mis en place les fondements juridiques d'une véritable coparentalité. Mais cet objectif se heurte à des difficultés de mise en œuvre qui apparaissent très clairement près de quatre ans après son entrée en vigueur. Certaines améliorations sont donc attendues, pour que l'esprit de la loi soit effectivement appliqué.

1.- Améliorer la mise en œuvre de la résidence alternée

Si la résidence alternée n'a pas été créée par la loi du 4 mars 2002, son inscription dans le code civil a traduit la volonté du législateur de voir se développer cette solution.

Afin de pouvoir en dresser un premier bilan, le ministère de la justice a fait réaliser une enquête sur un échantillon de décisions portant sur la résidence d'un mineur prononcées par les juges aux affaires familiales du 13 au 24 octobre 2003.

Sur les 7 716 décisions de l'échantillon, 680 (8,8 %) se prononçaient pour une résidence en alternance, qu'elle ait été prévue dans une convention homologuée ou prononcée par le juge. Dans 95 %, ce choix a été fait à la demande des deux parents, dans le cadre d'une séparation pacifiée.

Ces enfants sont jeunes. Ils ont en moyenne 7 ans : 50% ont moins de 5 ans ½  et 75% ont moins de dix ans.

Dans près de 80 % des cas, le partage se traduit par une alternance selon un rythme hebdomadaire (une semaine sur deux chez chacun des parents). Les parents ont des revenus élevés : seuls 13 % d'entre eux ont recours à l'aide juridictionnelle, contre 30 % dans les autres procédures, et le salaire moyen des pères est de 20 % supérieur au salaire moyen masculin. Le plus souvent, le partage de la résidence se traduit par le partage des frais d'entretien des enfants, si bien qu'une pension, souvent faible, n'est versée que dans 30 % des cas, pour compenser les différences de niveau de vie entre les parents.

Les personnes entendues par la Mission ont des expériences qui corroborent les résultats de cette enquête.

M. Hugues Fulchiron a expliqué que « à l'évidence, l'alternance ou le partage de l'hébergement ne sont pas devenus le modèle dominant » et que « les magistrats semblent user de la résidence alternée avec une extrême prudence » (233). Mme Brigitte Azogui-Chokron a remarqué que, si ce mode d'organisation semblait avoir la faveur du législateur, sa pratique restait marginale. Elle note néanmoins qu'il est très difficile d'évaluer le nombre de situations de résidence alternée dans les familles où les parents ne sont pas mariés, puisque le juge n'en est pas systématiquement saisi.

a) Faut-il interdire la résidence alternée pour les tout petits enfants ?

L'entrée de la résidence alternée dans le code civil répondait au souci de donner un cadre légal à une pratique qui s'exerçait déjà lorsque les parents étaient d'accord, en dehors des circuits judiciaires. Elle était aussi le résultat de travaux en psychologie et en psychiatrie qui montraient, expériences cliniques à l'appui, qu'elle favorise l'équilibre psychologique de l'enfant, et que les jeunes enfants, assurés de la présence continue de leur père, bénéficient d'un meilleur développement.

Cette défense de la garde alternée ne fait pourtant pas l'unanimité, en particulier lorsqu'elle concerne des bébés ou des enfants encore très jeunes.

● Des spécialistes partagés sur les conséquences de la résidence alternée

M. Maurice Berger (234) critique la mise en œuvre systématique de la garde alternée pour les enfants de moins de six ans. Il souligne que « l'enfant petit n'a pas le même sens du temps qu'un adulte». De ce fait, lorsqu'un « petit enfant est soumis à une séparation d'avec sa mère, trop longue par rapport à ce qu'il peut supporter, c'est-à-dire par rapport au temps pendant lequel il peut garder en mémoire l'image sécurisante de sa mère », il présente souvent des troubles. Chaque enfant réagit différemment à ce type de séparation, mais lorsqu'il y a des troubles, ils peuvent s'installer durablement jusqu'à l'adolescence et se retrouver sous une autre forme à l'âge adulte.

NOTA

L’association PEM a recueilli les avis des parents d’enfants qui étaient perturbés au départ par la résidence alternée hebdomadaire : la solution retenue est une alternance courte = 4 jours chez la mère, 3 jours chez le père, puis 3 jours chez la mère et 4 jours chez le père, et ainsi de suite. Cela se passe alors très bien même pour les enfants en bas âge puisqu’ils « gardent l’image sécurisante de la mère ».

L'enfant noue avec sa mère sa première relation d'attachement, celle qui porte sur la constitution du sentiment de sécurité. Aussi « si la résidence alternée est mise en place trop précocement, cette base de sécurité est inaccessible à l'enfant pendant une longue période ».

M. Maurice Berger estime que le conflit qui règne souvent entre les parents au moment de la séparation constitue un facteur aggravant : lorsque l'enfant est chez son père, celui-ci n'évoque pas l'image de sa mère et ne lui permet pas toujours d'entrer en contact téléphonique avec elle. « Ainsi l'enfant perd un parent quand il va chez l'autre », conclut-il. Plutôt qu'une garde alternée mise en œuvre trop tôt, il propose que l'enfant résidant chez sa mère ait des contacts réguliers avec son père, mais selon un rythme et des modalités évoluant avec son âge : par exemple, l'enfant ne passerait pas une nuit chez son père avant d'avoir un an ; et jusqu'à trois ans, la nuit passée chez son père ne le tiendrait pas éloigné de sa mère pendant plus d'une journée et demie.

NOTA

L’association PEM œuvre auprès de ses adhérents pour éviter qu’un parent ne donne à l’enfant une image négative de l’autre parent : ce n’est jamais le cas des parents qui pratiquent la résidence alternée. 

D’autre part, PEM a recueilli les avis des parents qui confient leurs enfants en bas-âge aux grands-parents, et même plusieurs nuits, sans conséquence néfaste sur leur équilibre ou leur sentiment sécuritaire.

La source d’inquiétude du tout petit provient surtout du conflit entre ses parents car il en ressent les perturbations sans les comprendre. Cela arrive au début de la séparation puis s’estompe en quelques semaines, les parents trouvant leurs nouveaux repères : il serait donc injuste d’exclure la résidence alternée pour les parents qui sont sortis de cette période agitée. Mieux encore, comme ces parents sont soucieux que leur enfant supporte la résidence alternée, alors ils seront très motivés pour apaiser rapidement leur séparation

M. Aldo Naouri a fait part à la Mission de son approbation au principe de la résidence alternée, « c’est une excellente mesure ».

Il est réservé sur son application systématique pour tous les enfants petits, qualificatif qu'il applique aux enfants n'ayant pas encore leurs repères spatio-temporels. Il y a un âge, en effet, où l'enfant tire beaucoup plus de bénéfice de la fréquentation de sa mère. Il faut attendre que se mettent en place ses repères temporels et spatiaux » (235). Il estime que certains enfants ont acquis ces repères dès l'âge de deux ans et demi, quand d'autres ne les possèdent pas encore à quatre ans ; c'est donc moins une question d'âge qu'une question de maturité de l'enfant.

NOTA

L’association PEM a recueilli les avis des parents de ces enfants petits qui pratiquent la résidence alternée bi-hebdomadaire : 4-5 jours chez la mère, 2-3 jours chez le père. Cela se passe aussi bien car les enfants prennent « leurs repères temporels et spatiaux  » chez les deux parents.

Mme Hana Rottman considère « l'alternance des séjours de l'enfant chez l'un et l'autre parent comme une organisation de vie incontournable pour que l'enfant et chacun de ses parents puissent, au fil du temps, se connaître au quotidien, dans une relation de proximité et d'intimité qui maintienne la force du lien. Reste à déterminer fréquence, rythme et durée de cette alternance ».

Elle insiste sur l'importance de la construction du lien entre l'enfant et son objet principal d'attachement, généralement sa mère, pendant au moins ses trois premières années. Elle estime que la relation entre l'enfant et son père, est « plutôt une relation motrice de stimulation, d'encouragement à l'exploration, (...) qui se développe très tôt et prend de plus en plus de place au fur et à mesure que les capacités motrices et représentatives de l'enfant se développent ».

M. Gérard Poussin (236) précise que les enfants présentant des pathologies sont encore plus perturbés par des changements fréquents de résidence. Les neuf dixièmes des études parues sur le sujet montrent que l'hébergement alterné n’est pas producteur de pathologies mais au contraire il atténue les effets.

Ainsi, une étude « a montré que les enfants en résidence alternée étaient les seuls qui ne développaient pas de relation d'emprise à la mère alors que celle-ci apparaît dans 80 % des cas dans le groupe en résidence principale maternelle sans recomposition familiale ».

Surtout, il ne faut pas sous-estimer « ces cas particulièrement douloureux où l'enfant pour échapper à la douleur du conflit de loyauté décide de rejeter totalement l'un de ses parents ». Or, « ils ne sont possibles que parce qu'un parent possédant l'hébergement principal fait entrer l'enfant dans un système de pensée qui inclut le rejet de l'autre lignée comme seule solution acceptable. Et cela se produit très tôt. C'est une autre raison de penser que la possibilité donnée aux juges aux affaires familiales d'ordonner une résidence alternée, ne serait-ce que pour un temps, doit être préservée ».

Il insiste sur la brièveté du rythme de l'alternance pour les enfants de moins de trois ans et sur le fait que le changement de résidence doit se faire dans la sérénité. Il ajoute aussi qu'il faut tenir compte de l’avis d’un enfant qui est opposé de façon claire et argumentée à la résidence alternée.

 

NOTA

L’association PEM a recueilli les avis des parents dont l’enfant résidait chez la mère et qui allait chez son père le week-end et le milieu de la semaine. Or, cela obligeait l’enfant à changer 3 fois de suite de domicile : dimanche soir (chez le père) lundi soir (chez la mère) mardi soir (chez le père) mercredi soir (chez la mère) ! Les plus jeunes enfants étaient particulièrement vulnérables à ces changements successifs, et ils en devenaient très perturbés. Alors les parents ont instauré une résidence alternée hebdomadaire, ce qui a permis rapidement à leur enfant de fixer ses repères et retrouver son équilibre.

 

Pour un meilleur encadrement plutôt qu'une interdiction

Il apparaît finalement que c'est moins le principe de la résidence alternée que les conditions de sa mise en œuvre qui sont mis en cause. L'interdire pour certains enfants ne semble pas la solution la mieux adaptée.

M. Gérard Neyrand (237) reconnaît que la question de l'âge de l'enfant est très délicate, mais il s'oppose au « schéma traditionnel d'Aldo Naouri » : « Instaurer un âge minimum pour la résidence alternée serait illogique, tant les situations sont diverses Il y a, depuis les années 70, des pratiques familiales très diverses dont on n'a pas observé qu'elles créent chez les enfants de troubles psychiques particuliers, ou en tout cas supérieurs à ceux d'enfants élevés dans des conditions plus " classiques " ». Ainsi « il arrive par exemple que ce soit le père qui s'occupe de l'enfant parce qu'il est au chômage et que la mère travaille, et que l'attachement de l'enfant au père soit donc très précoce. Interdire la résidence alternée serait dangereux dans un tel cas, et [il] comprend la mobilisation des associations de pères ».

Pragmatiques, les avocates entendues par la Mission (238) suggèrent que la loi attire l'attention des juges sur les risques de la résidence alternée sur les enfants petits : « Quelques résidences alternées à l'essai chez des enfants tout petits ont eu des résultats négatifs et les magistrats, alertés par les pédopsychiatres, les ont arrêtées. Plusieurs membres de notre groupe de travail préconisent de compléter l'article 373-2-11 du code civil afin que le magistrat prenne en considération l'âge de l'enfant lorsque celui-ci a moins de trois ans, ce qui correspond à l'âge de la scolarisation, l'âge de l'autonomie. Nous sommes convenus qu’il n’y a pas lieu d’interdire la résidence alternée en dessous de 3 ans, mais le juge ne doit pas statuer sur un mineur de trois ans de la même manière que sur un enfant un peu plus grand ».

Cette observation concerne essentiellement les cas dans lesquels le juge ordonne une résidence alternée « à l'essai ». En effet, les avocates considèrent que, lorsque les parents se mettent d'accord sur une telle solution, il convient de leur permettre de la mettre en œuvre car «  pour l'enfant, le plus important est que ses parents soient en accord sur le mode d'organisation de leur vie » et « même si le projet d'organisation des parents ne nous satisfait pas, ils parviendront toujours mieux à l'appliquer s'ils l'ont choisi eux-mêmes que si on leur en impose un autre ».

Lié à la souffrance qu'éprouve l'enfant face au conflit de ses parents et au soulagement qu'il ressent lorsque ceux-ci s'accordent sur son mode de résidence, ce dernier argument est valable, mais, comme certains exemples cités par Mme Hana Rottman l'ont montré, l'intérêt de l'enfant ne correspond pas nécessairement à celui des parents, et la vigilance du juge est nécessaire pour éviter les solutions les plus aberrantes.

M. Hugues Fulchiron estime qu'il faut le laisser apprécier chaque situation, et ne pas fixer dans la loi un âge minimal : « Il [lui] semble préférable de laisser le juge faire usage de son pouvoir d'appréciation souverain, dont il use d'ailleurs de manière modérée. En particulier, l'interdiction de principe de l'alternance pour les enfants en bas âge présenterait deux inconvénients. Le premier serait d'introduire une grande rigidité alors que l'intérêt de l'enfant s'apprécie au cas par cas. Et si l'on pose une interdiction de principe, quel seuil fixer ? On s'engagerait dans des débats d'une grande complexité. Par ailleurs, une telle interdiction remettrait en cause le principe essentiel de la coparentalité, et augmenterait l'instabilité législative en donnant l'impression que le législateur intervient au coup par coup, au gré des opinions changeantes des spécialistes de l'enfance. Mieux vaudrait éviter tout dogmatisme et laisser les magistrats procéder avec tact et mesure ».

Laisser au juge, après avoir, si nécessaire, pris l'avis de psychologues, le soin d'estimer, au cas par cas, si la résidence alternée est dans l'intérêt de l'enfant semble donc, pour la Mission, la meilleure solution.

Cet avis est d'ailleurs partagé par le garde des Sceaux et par le ministre chargé de la famille (239). Comme dans toutes les décisions relatives aux modalités d'exercice de l'autorité parentale, le juge prend en considération une série d'éléments, dont une liste non exhaustive figure à l'article 373-2-11 du code civil, parmi lesquels « le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l'âge de l'enfant » ; son attention est donc d'ores et déjà attirée sur la nécessité de tenir compte de l'âge de l'enfant, pour fixer ou homologuer une garde alternée, comme pour en déterminer le rythme. La Mission estime qu'il doit être particulièrement attentif à cette question, surtout en cas de désaccord des parents. Un guide des bonnes pratiques en matière de garde alternée pourrait de manière utile être édité, sous le contrôle d'experts, par le ministère de la justice pour aider les parents et les juges aux affaires familiales dans l'établissement des modes de garde partagée.

Le juge doit, comme pour les autres décisions le concernant, entendre tout enfant ayant atteint l'âge de discernement qui en ferait la demande. Mais le Mission souhaite aller plus loin en donnant à l'enfant le droit de saisir directement le juge pour lui demander de modifier les modalités d'exercice de l'autorité parentale et donc, éventuellement, les conditions de sa résidence, alors que cette possibilité est aujourd'hui réservée à ses parents et au ministère public, qui peut être saisi par un tiers (articles 372-2-8 et 372-2-13 du code civil). En effet, les petits enfants ne sont pas les seuls à être susceptibles de pâtir de l'organisation de leur garde. Les plus grands doivent aussi avoir un recours, si leurs parents ne sont pas attentifs à leur souffrance. Il est déjà possible à un mineur de saisir le juge des enfants dans le cadre de l'assistance éducative (article 375 du code civil), notamment si les conditions de son éducation sont gravement compromises. La Mission estime pertinent de permettre aussi au mineur, dès lors qu'il a l'âge de discernement, de saisir le juge aux affaires familiales pour qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Propositions :

- faire éditer par le ministère de la justice un guide des bonnes pratiques de la résidence alternée

- permettre à l'enfant ayant atteint l'âge de discernement de demander au juge de modifier les conditions d'exercice de l'autorité parentale

b) Organiser le partage des prestations familiales

Si seuls les parents relativement aisés choisissent la résidence alternée, c'est qu'elle induit un certain nombre de contraintes matérielles et de surcoûts. Chacun doit par exemple disposer d'une chambre pour accueillir l'enfant. Des progrès ont déjà été réalisés dans ce domaine depuis le vote de la loi du 4 mars 2002. La mise en œuvre de la résidence alternée a été rendue plus facile par la possibilité, offerte aux parents depuis 2003, de partager le quotient familial, puis par l'inscription de l'enfant sur la carte Vitale des deux parents. Il semble d'ailleurs que l'existence de ce dispositif soit relativement mal connue des juges : selon le ministère des finances, le partage du quotient familial, qui donne lieu à une déclaration fiscale particulière, a concerné 63 500 enfants en 2003 et 105 000 en 2004, mais, en 2003, seules 15 % des décisions judiciaires concernant des résidences alternées prévoyaient un tel partage.

En revanche, les allocations et autres prestations familiales ne peuvent encore être versées qu'à un seul parent, et l'attention de la Mission a été attirée sur les lacunes du droit des prestations familiales qui n'a pas été adapté pour tenir compte de la résidence alternée comme modalité de garde des enfants.

Mme Isabelle Juès a précisé que « le développement de la résidence alternée n'est pas tant freiné par la question du partage des allocations familiales que par l'inégalité d'accès aux allocations logement et aux bons-vacances, qui influe sur l'aménagement de l'alternance pour l'enfant ».

Le problème du logement, également évoqué par Mme Chantal Lebatard, est particulièrement aigu car il empêche parfois l'exercice du droit d'hébergement, « faute de place pour (...) loger décemment » les enfants.

M. Alain Cazenave estime pour sa part que « le partage des prestations familiales est à la fois un vrai et un faux problème » dans la mesure où il suffirait d'en tenir compte dans le calcul de la pension alimentaire pour neutraliser le fait qu'elles soient versées à un seul parent. Mais cette solution, difficile à appliquer dans la mesure où le montant des pensions alimentaires ne peut être modifié à chaque évolution des prestations sociales, peut difficilement englober les prestations sociales en nature.

S'il est incontestable que le droit actuel des prestations familiales n'est pas adapté à la résidence alternée, le principe du partage des prestations familiales entre les deux parents soulève de multiples difficultés.

● Les lacunes du code de la sécurité sociale

L'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les prestations familiales sont dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant (les mêmes dispositions se retrouvent au premier alinéa de l'article L. 521-2 du même code en ce qui concerne les allocations familiales).

L'article R. 513-1 du même code précise que :

- la personne physique à qui est attribué le droit aux prestations familiales a la qualité d'allocataire et que cette qualité n'est reconnue qu'à une seule personne au titre d'un même enfant ;

- lorsque les deux membres du couple assument à leur foyer la charge de l'enfant, l'allocataire est celui d'entre eux qu'ils désignent d'un commun accord. L'un des membres du couple allocataire peut demander à ce que son conjoint soit attributaire des prestations ;

- en cas de divorce, de séparation de droit ou de fait des époux ou de cessation de la vie commune des concubins, et si l'un et l'autre ont la charge effective et permanente de l'enfant, l'allocataire est celui des membres du couple au foyer duquel vit l'enfant.

Ces dispositions sont inadaptées quand un enfant habite alternativement chez ses deux parents. Aucun texte réglementaire ne précise aujourd'hui les modalités d'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée.

Ce vide juridique peut conduire à des situations particulièrement inéquitables. Ainsi, un père en instance de divorce a accepté que la mère de ses enfants soit désignée comme allocataire des prestations familiales afin qu'elle puisse recevoir des allocations familiales et une allocation logement. Il s'est vu ultérieurement refuser le bénéfice de l'aide prévue pour le recours à une assistante maternelle à laquelle il aurait théoriquement eu droit en raison de son activité professionnelle alors même que son ex-épouse, n'ayant pas d'activité professionnelle, ne remplit pas les conditions pour bénéficier de cette prestation.

Devant ce vide juridique, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a tenté de trouver des solutions pratiques pour permettre à chaque parent qui assume la charge d'enfants, dans le cadre d'une résidence alternée, de bénéficier des prestations auxquelles il est en droit de prétendre.

Suite à une circulaire interne de la CNAF du 28 avril 2004, les caisses d'allocations familiales (CAF) procèdent différemment selon que les parents sont d'accord ou non.

- En cas d'accord entre les anciens conjoints ou concubins

Le versement des prestations s'opère au profit du membre du couple alors désigné, qui, le cas échéant, peut être différent de celui désigné dans le jugement ou choisi en matière fiscale. Le parent allocataire peut verser une quote-part à l'autre parent, mais il n'y est nullement contraint.

- En cas de désaccord entre les anciens conjoints ou concubins

Lorsque le juge a désigné le bénéficiaire des prestations familiales, le litige doit être tranché en s'appuyant sur les termes du jugement. Les prestations sont versées à la personne désignée. Cette désignation peut figurer soit dans les motifs du jugement, soit dans le dispositif qui constitue la décision proprement dite.

La CNAF souhaite que la désignation du bénéficiaire figure dans les motifs du jugement reflétant l'accord des parties telle qu'elle résulte des discussions à l'audience. Une telle mention n'est pas alors une décision judiciaire, mais entérine le choix des parents au moment de l'audience et constitue une référence officielle permettant d'asseoir la décision et d'éviter d'élever le litige.

Lorsque la mention figure dans le dispositif, bien que le juge aux affaires familiales ne soit pas compétent en matière de prestations familiales et que ce type de décision ne soit pas opposable aux CAF au motif qu'elles ne sont pas parties à l'affaire, le jugement constitue une référence opposable aux parents. Les CAF peuvent donc demander la production du jugement et considérer que la décision peut être valablement opposée aux parents.

En revanche, lorsqu'il n'existe pas de décision judiciaire ou qu'aucun bénéficiaire des prestations n'est désigné dans le jugement, les prestations familiales doivent continuer à être versées au parent qui les percevait avant le différend. La contestation d'un parent n'est pas un motif suffisant justifiant la suspension ou la non-ouverture de droit au profit de l'autre. Les prestations doivent normalement être versées au demandeur tant que le litige n'est pas tranché. La CNAF conseille de recourir à la médiation familiale pour éviter une action contentieuse. À défaut, la Commission de recours amiable (CRA) doit être saisie. Dans sa circulaire précitée, la CNAF reconnaît que, les CAF n'ayant aucune légitimité à désigner l'allocataire faute de règles ou de critères indiscutables, seule une solution contentieuse est possible en l'état actuel de la réglementation.

● Les difficultés soulevées par un partage des prestations familiales entre les deux parents 

Les solutions empiriques proposées par la CNAF ne sont pas réellement adaptées aux spécificités de la résidence alternée.

Il conviendrait de revoir la notion de « charge effective et permanente » qui détermine, selon l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, l'attribution des prestations familiales. Si la charge des enfants est sans conteste effective pour les deux parents en cas de garde alternée, elle ne peut être considérée comme permanente dans la mesure où la charge est assumée alternativement par chacun des deux parents.

Il faudrait donc modifier l'article R. 513-1 du code précité qui définit la notion de parent allocataire des prestations familiales et qui fixe déjà les modalités d'attribution des prestations en cas de divorce ou de séparation des parents. Un alinéa spécifique pourrait être consacré à la garde alternée en précisant que, à défaut d'accord entre les parents ou de décision de justice ayant statué sur le bénéficiaire des prestations familiales, chacun des parents aurait la qualité d'allocataire.

Cette solution d'apparence simple pose de réelles difficultés techniques d'application. En effet, les prestations familiales dont la liste est fixée à l'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale (240) comprennent des prestations de natures très différentes, certaines étant soumises à conditions de ressources et d'autres variant selon le nombre d'enfants considérés comme étant à la charge de l'intéressé.

On ne peut pas appliquer le principe simple de partage entre les deux parents du montant des prestations familiales, comme on peut le faire en matière fiscale, sauf à opérer une discrimination positive en faveur des parents séparés ayant opté pour la garde alternée. Ainsi, si l'on considère que la garde alternée de deux enfants constitue une charge équivalente à la garde non partagée d'un seul enfant, le versement de la moitié du montant global dû à la famille à chacun des parents séparés ayant choisi la garde alternée est inéquitable pour les familles constituées de deux parents vivant ensemble.

L'exemple des allocations familiales illustre ce phénomène :

- une famille de deux enfants ouvre droit à un montant mensuel de prestation de 115 euros. Un partage de cette allocation conduirait à verser la moitié de cette somme, soit environ 57 euros, à chacun des parents séparés, alors qu'une famille ayant un enfant à charge ne bénéficie d'aucune aide ;

- la situation est aggravée si la famille est nombreuse, du fait de la progressivité des allocations familiales en fonction du rang de l'enfant : si les parents ont eu quatre enfants, chaque parent séparé aurait droit à des allocations familiales d'environ 205 euros, alors qu'une famille de deux enfants perçoit seulement 115 euros. Le déséquilibre s'accentue si l'âge des enfants ouvre droit à des majorations d'allocations familiales, puisque l'aîné des familles de deux enfants est exclu de leur bénéfice ;

- un partage impliquerait un surcoût important, s'agissant des prestations soumises à une condition de ressources. En matière de complément familial et de prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), la prise en compte des ressources de chaque parent de façon séparée ferait entrer dans le champ un certain nombre de familles actuellement exclues. Mais c'est au niveau des aides personnelles au logement que l'impact serait le plus marqué, surtout si la réforme consiste à calculer le droit de chaque parent en prenant pour base le montant de ses ressources propres et le nombre total d'enfants (y compris ceux issus d'une autre union).

En outre, le partage des prestations pose des problèmes techniques importants, tenant à l'appréciation des conditions de ressources. Un couple ayant trois enfants à charge n'a pas droit au complément familial si le revenu global du ménage est supérieur au plafond. Si, après séparation, le revenu de l'un des conjoints est supérieur au plafond et le revenu de l'autre est inférieur, il est peu aisé de partager la prestation entre les deux conjoints. La difficulté est accrue en cas de familles recomposées (241).

La réforme des prestations familiales doit donc tenir compte des spécificités de la garde alternée, mais sans poser de principe général de partage des prestations familiales entre les deux parents allocataires. En effet, il paraît plus équitable d'adapter les conditions d'attribution de chaque prestation en cas de garde alternée des enfants à charge, les critères pouvant varier d'une prestation à l'autre. Notamment, pour les prestations visant à faciliter le recours à un mode de garde extérieur au milieu familial, il serait tout à fait possible d'ouvrir un droit distinct pour les deux parents, au titre du même enfant, avec un plafond correspondant à la garde à temps plein de cet enfant.

Proposition :

- adapter le régime des prestations familiales à la résidence alternée

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