Père un jour, père toujours ?

La publicité les présente en train de donner le biberon, de changer la couche, de faire la vaisselle ou la lessive, semblant parfaitement à l'aise dans un domaine il n'y a pas si longtemps réservé aux femmes, nageant dans le bonheur d'un univers ouaté. Les médias parlaient avant de crise de la paternité, de défection des pères et du mal qu'ils ont à se tailler une place dans notre société. Les groupes d'entraide aux pères divorcés témoignent de réalités où le système est souvent responsable du peu de place qu'ils occupent auprès de leurs enfants. Une chose est certaine : le rôle du père a éclaté au cours des dernières années et sa nouvelle définition en est encore à ses balbutiements.

Le père d'aujourd'hui s'implique de plus en plus auprès de ses enfants, mais la route de la paternité est encore parsemée d'embûches et la lutte des hommes pour la reconnaissance de l'égalité parentale se bute parfois à des préjugés bien enracinés. Égalité parentale De pourvoyeur et dispensateur de l'autorité, le père d'aujourd'hui s'est vu attribuer une place de plus en plus importante en regard de l'éducation, de la socialisation et des soins aux enfants.

Dans un sondage effectué en 1998, 56 % des hommes affirmaient s'occuper plus ou beaucoup plus de leurs enfants que leur père ne l'avait fait, 52 % estimait s'occuper de leurs enfants autant que leur conjointe et 85 % effectuaient régulièrement des tâches ménagères. Avant, la participation des pères aux tâches parentales était souvent ponctuelle et sélective, touchant davantage les sphères du jeu et de l'éveil, tandis que les tâches touchant l'entretien des enfants revenaient la plupart du temps à la mère. Il arrive souvent que le père ne se considère pas comme le parent principal qui s'occupe des affaires du ménage et de la famille, et sa participation est souvent régie par les demandes de sa conjointe.

Plusieurs phénomènes peuvent expliquer cette situation. Certains préjugés restent tenaces. L'image du pourvoyeur reste associée à celle du bon père de famille et on justifie facilement les absences du père lorsqu'elles sont dues au travail. Le marché du travail offre peu d'occasions d'exercer la paternité. Les congés de paternité sont encore exceptionnels et les absences pour raisons familiales ne sont pas encore entrées dans les mœurs, surtout dans les milieux à forte composition masculine. Encore aujourd'hui, il n'est pas facilement admis qu'un homme s'absente pour accompagner son enfant chez le dentiste ou pour répondre à tout autre besoin de l'enfant. Socialement, la mère est encore perçue comme le parent principal et responsable, ce qui range inévitablement le père au rang d'assistant.

De plus, de l'aveu même de certaines féministes, les mères craignent parfois de perdre l'exclusivité dans les relations avec les enfants ou elles exigent que le père reproduise fidèlement leur façon de s'occuper des enfants. Ceci s'ajoutant à cela explique, en partie du moins, le timide engagement des pères dans les affaires familiales.

Or, l'égalité parentale dépend fortement d'un partage équitable des tâches reliées à l'éducation des enfants. Paternité et rupture Le divorce est sans doute le facteur qui fragilise le plus l'exercice de la paternité. Dans près de 85 % des cas, la garde exclusive des enfants est confiée à la mère. Ce qui signifie que la majorité des pères ne disposent souvent que de quelques jours par mois ou pendant les vacances pour créer des liens avec leurs enfants. La situation est encore plus accentuée lorsque les enfants ont moins de 5 ans. Malgré l'intérêt grandissant des tribunaux pour la garde partagée, on privilégie encore la garde exclusive par la mère, sous prétexte qu'elle est plus habilitée à materner les enfants et à leur assurer stabilité et sécurité. De plus, les pères s'avouaient parfois un peu mal à l'aise lorsque les enfants avaient moins de 5 ans.

Les chiffres concernant le décrochage paternel sont éloquents : au Québec, selon Statistique Canada, 24 % des enfants ne rendent plus visite à leur père cinq ans après la séparation des parents, et pour 32 % d'entre eux, le contact avec le père est très occasionnel. On estime que 2 enfants sur 5 voient leur père de façon sporadique ou ne le voient pas du tout, soit parce que la relation avec l'ex-conjointe est orageuse, soit parce que le père a fondé une nouvelle famille. Enfin, près de 80 % des hommes séparés ne vivent pas avec leurs enfants d'un mariage antérieur.

Instinct paternel et paternage Les études portant sur le vécu des pères pendant la grossesse dressent un portrait très positif des futurs pères. L'observation des pères avant la naissance démontre qu'il existe bel et bien un instinct paternel et que plusieurs processus psycho-affectifs amènent l'homme à s'approprier l'enfant.

Après la naissance, les choses se compliquent. Pour bien des hommes, comme pour beaucoup de femmes, la première enfance est un domaine réservé à la mère, bien que les recherches aient démontré depuis longtemps que le père était tout aussi capable de paternage que la mère. La question n'est pas de l'ordre du sentiment. Elle se situe plutôt au niveau du partage équitable des responsabilités parentales, ce qui implique un partage des tâches familiales et du temps consacré aux besoins de l'enfant. À ce titre, beaucoup de chemin reste à faire, autant du côté des hommes que du côté des femmes. La société participe parfois directement à maintenir les hommes dans l'ombre des responsabilités familiales. Lorsque la garderie, l'école ou la clinique appellent au sujet des enfants, on demande systématiquement à parler à la mère en assumant qu'elle est le parent principal. La conciliation travail famille semble aussi être une pierre d'achoppement à la paternité. L'aménagement des horaires en fonction des obligations parentales, le manque de garderies en milieu de travail et les congés parentaux sont encore loin de faciliter la tâche aux pères. La garde exclusive des enfants accordée à la mère de façon presque automatique en cas de séparation ou de divorce demeure cependant l'enjeu principal des groupes de pères qui réclament haut et fort la mise en place de la garde partagée par les tribunaux de façon à leur permettre d’exercer aussi leur rôle de parent.

Tous ces facteurs peuvent expliquer le pourcentage en augmentation de demandes de résidence partagée. La question est si sérieuse que le ministère de la Famille et de l'Enfance du gouvernement du Québec a même publié une brochure intitulée " Être père, la belle aventure " afin de valoriser le rôle du père et de promouvoir son engagement parental. Il ne reste qu'à souhaiter que la paternité regagne ses lettres de noblesse et se redéfinisse dans un rôle à part entière, autant au niveau de la famille qu'aux yeux de la société. Et que tous les pères, pas seulement quelques-uns, connaissent le bonheur de constater dans les yeux de leurs enfants que, oui, ils sont importants.

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